Ludmila Rubleŭskaya, traduction par Yuliya Novik
Extrait du livre « Sutarenni Romula » (« Les labyrinthes de Romulus »), roman “Gulnia u Albarutheniu” (Jeu en Albaruthenia)
Le monde rappelle une feuille du papier froissée, alors nous n’y sommes pas à l’aise et quittons le chemin choisi en glissant. Et là nous tombons sur une flexion, estompée jusqu’à former un orifice… Où peut-on aller à travers cette petite fenêtre inopinée ? Les notes de Razalia Ivanaŭna dans un petit cahier vert à l’intitulé doré « Leningrad » commencent avec les mots « Mensk, 1933 ». Il serait logique de supposer qu’on se retrouvera dans le même endroit où on est en ce moment, mais à une autre époque, et la première chose qu’on verra sera le cimetière non ruiné, l’église catholique, les chapelles peintes par le fameux artiste Yan Damel… Mais ce n’est pas si simple … Ce n’est pas comme aller voir la grand-mère Hanna manger des crêpes, ou le voisin Radaslaŭ boire un verre de cognac. Tu pénètres Là-bas, dans un milieu étranger, comme si tu touchais à un corps nu d’autrui via un rideau en polyéthylène. En même temps partiellement tu remplaces quelqu’un, toi aussi, tu le substitues en forcant de se déplacer quelque part à son tour… Et c’est elle, la Mort, qui t’attire inévitablement. Et le prix à payer pour se trouver Là-bas, est haut. Comme pour se trouver dans tout autre milieu étranger – dans l’eau, dans le feu, sous un froid rigoureux ou à la hauteur qui coupe l’haleine. Cet état ressemble un peu à celui d’une fièvre atroce… Des minutes enlèvent des années. C’était bien le cas de Razalia Ivanaŭna. De ce que Razalia avait noté, on conclue : de toutes ses forces elle avait essayé de refaire le destin de sa famille, voûté comme une croix en fer frappée par la foudre… Couper la branche du poirier de son grand-père… Nous, cyniques-marginaux, ont ri sous cape : le pauvre Bélarus s’accroche aux arbres fruitiers. Un poirier au bord du Dniapro mentionné dans la préface de « Kalasy pad siarpom tvaim » (« Les épis sous ta faucille », roman par Uładzimir Karatkievič – N.B. du traducteur)… Un poirier du roman postmoderne par Balakhonaŭ, écrivain de Homieĺ, dans le tronc de cet arbre une femme abandonnée cache le cadavre de son amant tué… De nouveau – « Imia grushy » (« Le nom du poirier »). La fleuriste a vraiment espéré qu’avec la disparition de la branche de l’arbre allait s’estomper la haute croix en fer ornée d’une couronne en ferblanc, au bord du cimetière. Ici repose son Seva. Dalila, bien sûr, se l’est mis en tête. Qu’elle va mettre le précepte en vie… Mais la mort impose à chacun sa branche à lui. Et chacun décide lui-même s’il va jouer avec la mort…